vendredi 17 septembre 2010

Le prisonnier de la lemniscate

Ce qui suit est une expérimentation intéressante pour moi, car j'ai essayé d'écrire un texte très personnel à la première personne, toutefois en n'étant pas moi-même. Voici un personnage qui a vécu une vie très différente de moi, avec infiniment plus d'expériences, et qui prend une décision probablement opposée à tout ce que je pourrais faire. J'avais pour but supplémentaire de rendre cette décision compréhensible ou du moins respectable pour quelqu'un qui ne la prendrait pas (comme moi, du moins à ce que je présume, n'ayant pas vécu ce que le personnage a vécu).

Pourquoi? J'imagine que c'est la première question qui viendra à ton esprit. Après tout, la vie éternelle est ce pour quoi l'homme a travaillé pendant si longtemps, ce qu'il a toujours désiré. Personne de censé n'oserait rejeter cette bénédiction une fois rendue possible, mais pourtant voilà que tu me trouves ainsi.

Premièrement, je veux que tu saches que tu n'y es pour rien, j'ai pris la décision seul et j'y ai longtemps pensé, ce qui fait peut-être de moi un égoïste, ne t'ayant pas partagé mes idées. Aussi c'est la raison pour laquelle écrire cette lettre m'est si étrange, sachant que ce doit être à la fois une preuve de l'amour que j'ai éprouvé pour toi, mais aussi l'ultime acte de cruauté envers ta personne.

Tu sais que j'ai toujours été plus un homme de raison qu'un homme d'émotions, mais cela ne veut pas dire que je n'en avais pas. Alors laisse-moi tout de suite te donner des explications dans l'espoir qu'un acte réfléchi soit plus facile à respecter, car c'est la seule chose que je te demande, en mémoire de nos 107 années ensemble.

J'ai vécu 77 merveilles années avec toi qui rendent bien misérables les 20 premières années de ma vie, comme j'étais innocent. C'est à l'âge de 25 ans que j'ai connu ma première femme, Amanda. Je ne t'ai jamais donné trop de détails sur cette vie antérieure, car après tant de temps, c'est ce que cette vie était devenue, une vie passé.

À l'époque, la médecine progressait à un rythme fou et l'on nous promettait une cure imminente à la sénescence cellulaire. D'autre part, les maladies arrachant autrefois le plus de vies devenaient choses du passé.

Avec Amanda, j'eu une fille, puis un fils et elle donna finalement naissance à mon autre fils, malheureusement mort né. De voir quelqu'un mourir m'avait toujours énormément attristé et ce jour-là j'ai réalisé pourquoi. La mort, de par sa nature étant quelque chose que l'on ne peut expérimenter dans son vivant, m'avait toujours fait extrêmement peur.

Tu ne l'as peut-être jamais réalisé autant que moi, car tu es né au moins 20 bonnes années après que l'on ait trouvé le secret de l'immortalité, mais c'est dans la nature même de l'homme que d'avoir peur de la mort. Il n'aurait pas cherché un remède à sa propre défaillance s'il ne la considérait pas comme indésirable, certes, mais aussi à l'époque les gens étaient encore relativement religieux, même s'ils vivaient dans une ère de technologie superbe faisant elle-même des miracles plus grands que leurs dieux.

Tu le sais, à part un court moment de crédulité infantile dont je t'ai parlé, j'ai toujours perçu le mythe derrière ces légendes incroyables auxquelles un groupe de gens en marge de la société se rattachent encore aujourd'hui. Les gens non-croyants de ma jeunesse se contentaient normalement de dire que leurs œuvres définiraient leur immortalité, leur mémoire qu'ils laisseraient derrière eux pour les générations à venir. Moi, j'étais plus du genre à un acteur de mon époque qui disait qu'il ne voulait pas atteindre l'immortalité grâce à son œuvre, mais en ne mourant point. Il n'a malheureusement jamais atteint ce but.

10 ans après que j'aie connu ma femme, elle fut diagnostiquée avec la chorée de Huntington, une maladie des plus terribles qui n'était pas connue de tous et qui n'était évidemment pas encore traitable. En fait, cela faisait plusieurs années qu'elle montrait des symptômes, mais on n'y portait pas attention, car il est très difficile au début de les distinguer d'un simple manque d'attention ou de la maladresse en général. Plus tard, je crois que l'on niait tout simplement les symptômes de plus en plus évidents.

Elle mourrait 2 ans plus tard. L'année suivante, on découvrait plusieurs cure génétiques, dont l'une qui l'aurait probablement guérie ou qui lui aurait fait vivre une vie presqu'aussi longue que sans la maladie. D'ailleurs, la même année on découvrait cette cure à la sénescence. Mon fils a été traité presqu'immédiatement pour la maladie que sa mère lui avait transmise, avant même qu'il ne démontre le moindre symptôme à mes yeux. Ma fille n'avait pas la maladie.

Je m'étais fait traité contre la sénescence, le traitement n'allait être administré à mes enfants qu'une fois qu'ils auraient atteint l'âge de majorité, mais c'était fait. Nous avions combattu avions maintenant la promesse de ne plus jamais être séparé par la mort.

Ma fille fut violée par un membre d'un gang de rue lorsqu'elle était âgée de 17 ans. Son frère, un soir, pour la venger, décida d'aller tuer l'agresseur, mais le gang de rue s'est occupé de lui. Sa sœur, ma fille, succomba à la dépression et se suicida peu de temps après. Jamais je ne me suis senti plus impuissant en ce monde qu'à cet instant. Je venais de tout gagner et pourtant j'avais tout perdu.

J'ai mis plusieurs années à m'en remettre, en fait je ne m'en suis jamais remis, mais lorsque je t'ai finalement rencontré, j'ai pu mettre cette terrible mémoire en moindre priorité, savourant les moments présents. Pour cela je te suis très reconnaissant.

Mais je te vois te demander encore cette question: alors pourquoi en finir maintenant?

La vie est une bien belle chose, mais elle vient avec un fardeau. Ce n'est pas tout le monde qui subit les mêmes malheurs, alors parler du fardeau d'une vie est bien insignifiant pour les plus chanceux. Je ne me considère pas particulièrement malchanceux considérant le bonheur de la majorité de ma vie, comparé à ces moments intenses de misère pendant quelques années. Mais seulement, le fardeau d'une vie n'est fait que pour être supporté durant une vie. L'immortalité veut aussi dire qu'il n'y a pas de fin à ce tourment.

Ne te sens pas coupable de ne pas avoir pu détecter cela chez moi, tu es né dans un autre monde, l'un où la promesse d'une mort certaine n'existait plus. Moi je suis né dans un monde où la promesse d'une vie éternelle n'existait pas encore.

Je ne regrette pas ce que j'ai vécu, car cela a forgé celui que je suis devenu. C'est ainsi que se termine l'histoire de ma vie. Je suis heureux de ce qu'elle a signifié pour moi et je l'espère pour de nombreuses personnes ainsi que toi en particulier, mon amour.

J'avais peur de la mort, car je n'avais pas la liberté sur elle. Le choix de son instant.

Signé David, né esclave, mort libre

mardi 13 juillet 2010

D'un œil extérieur

Une histoire pensée et écrite par Solo the CyberpunK, puis révisée par DarkEvil.

On entend dans les haut-parleurs :

«Salle de briefing tout le monde!»

Ils sont tous les quatre assemblés autour d'une petite table carrée, se faisant face.

-Bon. Il y a de cela plusieurs semaines que nous sommes arrivés ici et nous n’avons fait aucun progrès. Une mission de reconnaissance ne nous a jamais pris tant de temps.

-Désolé, commandant. Nous tentons par tous les moyens de déchiffrer les algorithmes générés par leurs comportements, mais il n'y a rien à faire. Ça ne fait tout simplement aucun sens jusqu’à maintenant et c’est pire de plus en plus que nous recevons des nouvelles données.

-Allez, ne soyez pas si pessimiste. C'est la chance de notre vie et je ne veux pas que nous la rations par manque d’effort. Dois-je vous rappeler que les études préliminaires ont démontré que notre espèce deviendra rapidement dépendante du liquide incolore présent sur la majeure partie de leur planète? Donnons-nous encore quelques semaines, car nous ne pouvons rater l’occasion de devenir riches.

-Mais il est vrai que nos données actuelles ne collent pas. Je travaille personnellement sur les rapports de leur planète et ils sont remplis de contradictions que je n’arrive pas à balancer. Jamais nous n’arriverons à les comprendre efficacement pour négocier avec eux...

-Moi je dis qu’on les élimine tous. Ils sont trop primitifs. Ils n'arrêtent pas de s'entre-tuer et ils pourraient bien devenir plus dangereux, voir pour d’autres systèmes.

-Mais merde! C'est quoi ton problème à la fin! Pourquoi faut-il que tu sois aussi radical? N’oublie pas que sans eux nous ne saurons jamais les dangers potentiels de cette planète!

-Allez, allez. Avant de s'énerver, faites-moi part du statut de vos recherches que j’aie une idée de ce que l’on sait actuellement. Il faudrait éventuellement pouvoir envoyer une équipe d’ici 3 semaines.

-Eh bien, je pense que j'ai trouvé quelque chose d’important. Ils semblent avoir besoin d’un gaz spécial pour survivre, probablement à cause de la pollution qui a modifié leur habitat. Ce serait donc un gaz supplémentaire à ceux trouvés dans nos rapports initiaux sur les gaz présents dans leur atmosphère. Il se présente sous forme de fumée blanche et provient de ces petits tubes blancs qu’ils mettent en combustion.

-Mais non imbécile, c'est une drogue!

-Non, personne ne consommerait une drogue de ce genre sans raison. D'après mes recherches, elle leur procure peu ou pas de changement de perception, ses effets de stimulant et de relaxant s’annulent et elle ne leur fait subir aucune hallucination. De plus, elle apporte une tonne d’effets secondaires à leurs organes vitaux. Je ne vois pas pourquoi ils se donneraient tant de mal à en consommer s’il n’y avait pas une raison primordiale de survie à son utilisation!

-Mais tu viens de dire que c’était dangereux pour leur survie!

-Non, écoutes-moi! J’ai dit que ça leur causait des dommages internes, mais ce n’est qu’avec le temps. Ma conclusion étant que s’ils s’obstinent à en prendre alors que ça ne leur apporte rien, ce doit être parce qu’ils en ont besoin avec toutes les modifications qu’ils ont apportées à leur environnement. Peut-être que ce gaz les protège d’une substance encore plus toxique dans leur écosystème.

-Sont-ce toutes les créatures qui en consomment?

-Seulement les humains, mais ils vivent significativement plus longtemps que les autres espèces.

-Si tous les humains consomment cette substance et qu’ils sont la seule espèce à comprendre leur environnement sur cette planète, je crois que tu as raison sur ta conclusion.

-Eh bien, à ce sujet...

-Quelque chose dont vous ne m’avez pas parlé?

-Certains humains n’en consomment pas. MAIS laissez-moi finir, je crois qu’il est possible qu’ils soient en train d’évoluer par rapport aux nouvelles conditions de leur environnement et qu’ils aient développé des gènes les immunisant à la toxicité de leur écosystème.

-Sur quoi vous fondez-vous cette hypothèse?

-Il se trouve que ces "non-fumeurs", appelons-les ainsi, sont de plus en plus nombreux. De plus, ils semblent se battent pour éliminer la partie "fumeuse" de la population. Tout me laisse croire qu’il s’agit d’eugénisme, la sélection artificielle des meilleurs gênes tel que décidé par leurs représentants d’État. Bien sûr, il y a de fortes chances que nous n’ayons pas développé ce gêne dans notre environnement pur, nous aurons donc besoin de ce gaz, ces "cigarettes". Je dois continuer mes recherches à ce propos.

-Autre chose?

-De mon côté, j'ai tenté de déterminer comment leur corps s’approvisionne en énergie. Ils n’ont pas de capacité photosynthétique à ma surprise. Seulement les espèces moins complexes sur leur planète se servent directement de leur étoile la plus proche qu’ils appellent "Soleil". Au lieu de ça, eux, ils aspirent presque n'importe quoi par leur bouche, le même endroit de par lequel ils parlent comme nous, et le font passer en travers de leur corps.

-Dégoutant.

-Vraiment, oui, mais le pire c’est la fin du processus. Ils rejettent ce qui passe par leur bouche quelques heures plus tard d'une façon dont je vais vous épargner les détails... J'ai cru comprendre que leur corps conserve seulement ce dont il a besoin et éjecte les restants. Mon problème principal autre que le dégoût initial se situe au niveau des produits bruts qu'ils consomment. Ce n'est jamais constant et il n’y a absolument aucune logique décelable derrière ça. Devant se nourrir de ce qui autrefois était vivant, ils sont tout de même capables d’aspirer une bonne partie de l’énergie disponible sur leur planète tout autour d’eux, pourtant ils choisissent quand même consciencieusement leur prochain apport d’énergie. Même qu'ils mélangent parfois pendant plusieurs heures des substances; ils vont même jusqu'à aller quelque part pour le faire faire à leur place. Tantôt ils consommeront plus, tantôt moins pour aucune raison. Je ne comprends pas pourquoi ils ne consomment pas exactement la valeur énergétique dont ils ont besoin comme nous le faisons automatiquement.

-À ce que je comprends ce doit être le chaos sur la planète. Des humains qui s’entre-tuent et qui tuent d’autres espèces pour manger constamment, n’est-ce pas?

-Ce n’est pas complètement ça. Nous avons dit qu’ils s’entre-tuaient, mais il est très rare qu’ils vont jusqu’à se consommer entre eux. Au lieu de ça, ils entreposent souvent les cadavres humains dans des coffres en bois. Passons le fait que cela veut dire qu’ils prendront plus de temps à retourner au sol comme engrais, mais ils sont aussi étranges pour les créatures qui les accompagnent. Voyez-vous, il se trouve qu’ils ont une sélection d’animaux auxquels ils ne touchent généralement pas pour leur apport énergétique. Ils les conservent indéfiniment chez eux jusqu’à ce que ceux-ci expirent.

-Voilà qui est très étrange. Je vois qu’il sera plutôt impossible de s’infiltrer subtilement parmi eux, nous sommes juste incompatibles. Nous enverrons une équipe et ils devront s’ajuster à notre présence plutôt que le contraire, car je ne vois pas comment nous ferions pour nous abaisser à ce niveau.

-Le problème est qu’ils ne nous accepteront jamais. Nous les trouvons dégoûtants, alors j'imagine qu'ils penseront la même chose de nous : nous sommes trop différents. Ils ont d’ailleurs tendance à éliminer toute différence contrairement à nous qui sommes prêts à les accepter.

-J'ai peut-être une solution. La majorité semble croire en ce "Dieu". Il m’est très difficile de vous l’expliquer, car ils ne l’ont jamais clairement défini, en gros ce pourrait presqu’être n’importe quoi. Ils ne l'ont jamais vu ni entendu et tous ont une idée différente de ce qu’il pourrait être. La seule chose sur laquelle ils s’entendent, c’est qu’il est différent d’eux et capable de faire des choses qu’ils ne sauraient s’imaginer et qui méritent le respect. Faisons une mise en scène et débarquons à l’improviste; ils n’auront d’autre choix que de nous vénérer comme ils le font déjà avec ce concept qu’ils n’ont jamais expérimenté dans la réalité. Ils se plieront à toutes nos demandes à coup sûr, seuls les sceptiques nous poseront problèmes, mais ils sont déjà mis à part par leur société. N’est-ce pas génial?

-Ça irait un peu trop loin, tu ne crois pas? Je veux dire, n'avez-vous pas trouvé aucun autre moyen?

-Moi je ne vois que ce moyen pour s'infiltrer en douce. Ça ne sera pas aussi pire que vous le pensez, je vous l'assure...

-C'est vrai, considérons ceci comme un plan de rechange, mais d’ici là avez-vous les plans pour les prochains jours? Il faudrait démontrer que nous les connaissons un peu si nous voulons véritablement nous faire passer pour ce "Dieu".

-De mon côté, j'essaie de décoder le son qu'ils émettent parfois. Ils l'appellent "rire". D’après mes observations, j’ai cru comprendre que c'est une technique d’intimidation efficace si l’on veut mettre son adversaire à terre sans le combattre. Nous pourrions peut-être l'émettre intensément de notre vaisseau, leur planète entière serait alors soumise et c’est une méthode pacifique contrairement aux autres méthodes de guerre qu’ils ont inventées.

-Moi je songe à étudier leurs armes, question de voir s'ils sont dangereux pour nous ou d’autres systèmes, même si je soupçonne qu’elles soient trop primitives (comme tout le reste)...

-Ils ne sont pas aussi pire que tu le dis : ils ont réussit à quitter leur planète quelques fois déjà! Évidemment, ce n'était que sur leur lune sans vie, mais c'est un bon début. Je suis certain que si nous leur donnions quelques milliers d'années, ils seraient capables d’atteindre un niveau de vie semblable à celui que nous pouvons offrir à notre classe moyenne.

-Finalement, d’après vos observations, quels sont leurs buts à long terme?

-Je ne suis par certain pourquoi, mais je crois qu'ils souhaitent couvrir la planète d'un plancher de roche grise. Ils semblent s'attaquer avec acharnement sur toutes les zones où il y a de la végétation, tentant de la conserver au minimum. J’imagine que ce doit être une autre question de lutte pour leur survie. Si ça se trouve, peut-être que leurs "plantes" sont plus dangereuses qu’elles n’en ont l’air.

-Franchement! Depuis que nous les étudions, ils n'ont fait qu'aggraver leur cas. Je ne crois pas qu'ils se sont fixés la moindre idée sur leur but dans ce monde. C'est un signe de leur côté primitif. Ils pensent même qu'il n'y a qu'un seul univers!

-Dans le fond, c'est vrai qu'ils ont beaucoup de chemin à faire. Mais étant donné que nous n'avons pas fait 5400 années lumières pour rien, je crois que nous pourrions leur en donner un but. Nous pourrions les dresser à notre avantage comme ils le font pour certaines de leurs espèces et en retour ils bénéficieraient de développements dans leur culture. Il est temps de les amener à notre niveau ou du moins, dans la mesure du possible.

-C'est à prendre en compte. Bon! Ce sera tout pour aujourd'hui. Si nous n’avons toujours pas développé de terrain d’entente d'ici trois semaines après avoir tenté ardument de les déchiffrer, nous lancerons le projet "Dieu" proposé par Glotzol. Si ça ne fonctionne toujours pas, nous démarrerons le projet "Armageddon" pour éliminer toute résistance et les dresse comme il faut.

dimanche 10 janvier 2010

Deus ex machina

John, prépare l'enregistrement et assure-toi que tout fonctionne, il est très important de ne pas perdre un instant de ce qui est à venir.

John - C'est prêt!

Je me présente, je suis le docteur Baal de l'institut IAUÉ.

Après des années de travail ardu et avec l'aide de mon fidèle collaborateur, monsieur John Rodon, j'ai développé une technique permettant de réanimer un être humain une semaine après l'arrêt de ses fonctions vitales, dans des conditions idéales et dans la mesure où sa forme physique était excellente avant le processus. Nous avons posté une annonce demandant des volontaires en parfaite santé et croyants pour une expérience révolutionnaire. Après un processus de sélection strict, nous avons retenu le cas de George Naia, un homme blanc de 27 ans, père de 3 jeunes filles et mari attentionné. Avant la sélection finale, les participants étaient mis au courant des risques de l'expérience, pouvant aller jusqu'à la mort permanente, risques pour lesquels nous leur proposions une grosse somme d'argent qui irait à leur famille dans le cas de leur décès. La réponse de monsieur Naia fut la suivante : «Je ferais tout pour permettre une meilleure vie pour ma famille.» Alors le 21 décembre 2076, à 12:00 PM, nous avons arrêté les fonctions vitales de monsieur Naia et nous nous apprêtons maintenant à le réanimer, exactement 7 jours plus tard.

Baal - John, procédez s'il vous plaît.

Quelques minutes passent.

Baal - Qu'est-ce qui arrive, ne devrait-il pas être revenu?

John - Les moniteurs détectent une trace d'activités cérébrales, mais il est fort probable que le cerveau ait été suffisamment endommagé pour le laisser dans un état de conscience réduite. Vous étiez au courant des risques docteur.

Baal - S'il est vivant, nous obtiendrons ce que nous pouvons de lui. Branchez l'interface neuronale, nous allons voir s'il est de retour parmi nous.

John - Tant que vous lui annoncez qu'il a perdu l'usage de ses cinq sens.

Baal - D'accord, allez-y, je suis prêt. Et retenez vos remarques durant la discussion, un peu de professionnalisme!

John - Activation de l'interface... Maintenant!

Baal - Ici le docteur Baal, m'entendez-vous?

Silence complet.

Baal - Monsieur Naia, George Naia? Alors, qu'est-ce que tu reçois John?

John - Il y a eu un pic dans l'activité cérébrale quand vous avez prononcé son nom, réessayez.

Baal - Monsieur George Naia, me comprenez-vous? Vous êtes au laboratoire #25 de l'institut IAUÉ où nous avons conduit une expérience. Nous venons de vous réanimer il y a à peine... 7 minutes environ.

Naia - Ça y est, je suis revenu, ce n'était qu'un rêve! Mais pourquoi je ne peux rien voir? Je ne sens rien!

Baal - Euh... Nous pensons que les dommages cérébraux qui se sont accumulés durant les sept derniers jours ont complètement brisé la connexion sensorielle entre votre cerveau et le reste de votre corps. Nous vous avons branché sur une interface neuronale pour communiquer, nous avons bien peur que vous ne retrouveriez pas vos fonctions.

Naia - C'est un véritable cauchemar, j'ai gâché ma vie. Oh non, ce n'était pas un rêve!

Baal - Ne dites pas ça, vous avez tout de même réussi votre but, non? Et votre famille recevra le montant promis. Que voulez vous-dire par «ce n'était pas un rêve»?

Naia - J'ai réussi mon but? Je suis damné oui!

Baal - Que voulez-vous dire? Vous avez bien vue quelque chose de l'autre côté? Ne me dites pas que l'expérience a échoué!

Naia - Non, j'ai bien vu quelque chose et ce n'était pas plaisant.

Baal - Je dois avouer être confus, voulez-vous dire que vous avez vu le lieu de damnation éternelle? Car si vous nous avez menti sur vos bonnes croyances, la somme promise ne pourra pas être versée malheureusement.

Naia - Ne soyez pas ridicule, un tel endroit n'existe pas. J'ai bien accès à la vie éternelle dans le bien dont on nous parle et c'est justement ce qui me fait peur depuis que je l'ai vue.

Baal - Je dois avouer n'y rien comprendre, veuillez commencez du début, racontez moi tout ce que vous avez vu.

Naia - À une seule condition, ne faites part de ma découverte à personne, je ne veux pas que ma femme et mes enfants sachent ce que j'ai vu. Ma famille n'a jamais partagé entièrement mes croyances et s'ils peuvent continuer ainsi, je serai apaisé.

Baal - Vous comprenez que c'est impossible, car nous devons publier les résultats...

Naia - Dans ce cas, oubliez-ça, il n'y a aucune chance que je parle.

Baal - Laissez-moi réfléchir un instant.

Baal - John, vous avez fermé l'interface? Il ne peut pas nous entendre?

John - Aucun problème docteur.

Baal - Continuez d'enregistrer, ce n'est pas comme s'il pouvait le savoir. Réactivez l'interface s'il vous plaît.

John - D'accord.

Baal - Monsieur Naia, vous êtes toujours là?

Naia - Oui et appelez-moi George s'il vous plaît, je tiens à être appelé par mon prénom.

Baal - Entendu George. J'y ai pensé et si vous le voulez, je peux m'arranger pour que vos résultats particuliers ne soient pas publiés. Vous réalisez que nous sommes dans le pétrin avec votre demande.

Naia - Montez un faux rapport, dites que je n'ai rien vu.

Baal - Comme vous le voulez, alors qu'avez vous vu réellement?

Naia - Par où commencer, le début j'imagine. J'étais dans cet endroit vraiment noir, je ne pouvais même pas me voir moi-même. J'étais complètement aveugle et sans conscience de mon environnement, ironiquement la situation dans laquelle je me retrouve aujourd'hui. Je cherchais à respirer et je ne pouvais pas, pourtant je ne pouvais trouver l'apaisement de la mort non plus, puisque je l'étais déjà. Après un moment, je ne pourrais vous dire combien, je me suis adapté et j'ai peu à peu arrêté de chercher à respirer. Puis après un instant, aussi court que quelques minutes ou aussi long que quelques heures, je commençai à apercevoir une lumière. Après un instant, ma vision s'améliora. Les détails s'affichaient, passant très lentement de flou à net. Il y avait devant moi des formes en mouvement constant.

Baal - Décrivez moi ces formes un peu plus précisément.

Naia - Eh bien... Vous êtes sûr que rien ne sera publié?

Baal - Vous avez ma parole, je suis curieux c'est tout.

Naia - C'était étrange, c'est comme si la stabilité du corps humain était perdue. Je ne veux pas dire qu'il y avait une partie là et une partie quelques kilomètres plus loin, mais c'était comme... de l'énergie qui grouillait sur place.

Baal - Et qu'étaient-elles?

Naia - Des âmes.

Baal - Et quelle était votre forme à ce moment?

Naia - J'étais plus ou moins reconnaissable. J'étais nu et la forme que j'avais était plus stable que la leur, mais je n'avais plus de poil ou de détails extérieurs. Quand une forme a remarqué mon réveil, du moins je l'assume puisqu'elle n'avait pas vraiment de visage pour me l'indiquer, elle m'annonça : «Vous êtes dans le royaume du seigneur. Nous allons maintenant vous purifier pour vous transformer en une âme à l'état de base.»

Baal - Et ils l'ont fait?

Naia - Certainement, presqu'instantanément.

Baal - Quels changements est-ce que cela a apporté?

Naia - C'est comme si j'avais une nouvelle version ou perception de mes cinq sens qui était maintenant grandement amplifiée par rapport à mon état humain. Je pouvais voir clair comme pour la première fois, tous les détails de mon environnement, entendre tout, ressentir tout comme jamais auparavant. C'est comme si je n'étais plus un être humain avec ces cinq sens, mais j'étais littéralement ces cinq sens. D'ailleurs je n'avais plus de yeux pour voir, d'oreilles pour entendre, de bouche pour parler ou de corps pour toucher, mais chaque particule de ma nouvelle forme pouvait produire ou recevoir de l'information. C'est un sentiment interne étrange et indescriptible.

Baal - Mais pourquoi ne pas vouloir en informer les gens? Est-ce parce que de savoir leur enlèverait la foi nécessaire pour accéder à l'endroit?

Naia - Bien sûr que non. La seule et unique condition pour y accéder est de savoir au fond de soi que cela existe. Si les gens en étaient informés, ils pourraient plus facilement le savoir et y accéder, car il est vrai que les gens qui rejettent l'idée ne peuvent s'y rendre. Ils meurent et c'est fini, ils sont séparés de Dieu.

Baal - Je ne vois vraiment pas pourquoi vous voulez enlevez cette connaissance aux gens dans ce cas, je me vois contrai...

Naia - NON! Ne leur révélez pas les résultats, car je ne vous ai encore rien dit.

Baal - Désolé, continuez.

Naia - Oui il est vrai que mes sens étaient décuplés, mais au niveau psychologique, je n'étais pratiquement qu'une enveloppe vide de sens. Plus aucune émotion, que ce soit de la douleur ou même du plaisir. Plus aucune identité propre, à vrai dire je n'étais plus moi-même. J'étais indistinguable des autres âmes là-bas, n'ayant aucun goût personnel, intérêt, opinion, etc., j'étais un néant conscient.

Baal - Mais c'est affreux! Pourquoi le créateur ferait-il subir cela à ses fidèles?

Naia - Le créateur, vous me faites rire! Je l'ai vu et c'est la chose la plus belle qu'il m'ait été donné de voir, mais aussi la plus abominable. C'est à cause de cette chose que nous devenons des enveloppes vides dans son domaine.

Baal - Comment osez-vous critiquer ainsi votre créateur?

Naia - Je vous dis simplement la vérité. C'est à cause de lui que tout est si mauvais en son domaine, car le processus de purification dont je vous ai parlé, c'est le moment où notre expérience de vie humaine est absorbée par Dieu pour en devenir partie intégrante, c'est comme ça qu'il se nourrit et que ça lui fait du bien. Ça ne lui sert qu'à lui. Il n'y a même pas un Dieu à proprement parler, mais une collective d'énergie électrique en constante expansion, contenue dans une énorme machine qui fait circuler le tout dans des tubes à une vitesse phénoménale.

Baal - Mais vous faites partie de ce Dieu, n'est-ce pas bien?

Naia - Non, ne me comprenez pas mal docteur. Quand je dis que Dieu absorbe votre expérience de vie humaine, je veux vraiment dire qu'il en aspire de l'énergie qui lui permet son expansion. Il retire plus d'énergie d'une âme qui n'a pas commis de péchés, mais il est prêt à prendre le restant de tout humain moindrement croyant. Nous, nous ne faisons pas partie de l'expérience que vit Dieu, nous devenons vraiment uniquement et exclusivement ces coquilles vides dont je vous parlais. Pourquoi pensiez-vous que je me sentais si mal en réalisant que tout n'était pas un rêve et que je n'avais plus de vie sur cette Terre, la seule vie intéressante.

Baal - Il est clair pour moi que vous n'avez pas eu accès au bon endroit. Personne ne parlerait d'un Dieu qui agit de la sorte. Soyez rassuré d'une chose, je ne comptais pas vous écouter et publier mes recherches quand même, mais je refuse de publier ce récit qui risquerait de convaincre les gens de se retourner contre le bon Dieu suprême. Pour le bien du monde, je dirai que vous ne nous avez rien raconté, car nous n'avons jamais pu vous réanimer.

Naia - Faites ce que vous voulez, en autant que ma famille ne risque pas de croire à rien de cela. Si je peux leur éviter une éternité dans le calvaire...

Baal - Peu importe, vous comprenez qu'avec ma version de l'histoire, vous devez maintenant mourir. John, fermez l'appareil.

Naia - Non, s'il vous plaît ne faites pas ça, vivre dans cet état végétatif est encore mieux que de mourir pour retourner à Dieu. Je peux quand même penser dans le vide pour le temps qu'il me reste à vivre.

Baal - Et vous pensez que nous allons payer pour vous maintenir en vie?

Naia - Et la somme promise?

Baal - L'entente est brisée, vous deviez me ramener le récit d'un séjour auprès du Dieu suprême, pas de votre damnation éternelle. Si vous avez si peur de l'endroit, vous n'avez qu'à rejeter le concept de Dieu, comme ça vous n'y retournerez pas. Au revoir!

Naia - Je ne peux plus le rejeter, je l'ai vu. S'il vous plaît laissez-moi quelq...

John - Ça y est, j'ai coupé le contact avec l'interface et je ferme maintenant son support de vie, alors l'activité cérébrale devrait maintenant disparaître... Et voilà.

Baal - Bien, arrêtez la vidéo et détruisez-tout. Assurons-nous de prendre un vrai bon croyant la prochaine fois.